Paroles de Son Nombril

Elle avait le nombril en forme de cinq.
Elle n'en était d'ailleurs pas plus fière pour ça.
On pouvait la voir tous les matins
Tuer l'verre avec les copains, sur le zinc,
Ainsi que vous et moi.
Et nul, en la voyant, simple, levant son verre
Aurait pu se douter que la gente commère
Avait le nombril en forme de cinq!

Ah, qui vous chantera
Fleurs mystiques écloses
Parmi les blancheur nacrées
Aux ivoires troublants?
Quel poète dira,
Nombrils, nénuphars roses
Le nonchaloir exquis
Qui mollement vous pose
Sur le lac pur des ventres blancs?

Elle avait le nombril en forme de cinq.
Une autre aurait fait des manières.
Une autre aurait fait des chichis,
Aurait cherché à s'exhiber aux Folies-Bergères,
Ou bien encore au Casino d'Paris.
Elle? Pas du tout!
Et quand un ami, souriant, lui disait : Sans embarras ...

Elle était si douce et si simple ...

Ah, quel poète dira
L'ironie décevante
De cet oeil goguenard
Que Dieu nous mit au ventre
Comme les architectes
Dans les maisons
Collent une rosace
Au plafond?

Elle avait le nombril en forme de cinq.
Une autre aurait affiché la prétention
D'être le clou, tant recherché de l'exposition
Elle? Pas du tout !
Elle allait à l'exposition, sans pose,
Avec son petit chapeau de paille noire, à ruban rose,
Son nombril ne faisait pas tourner la boule
Et si, dans les flots pressés de la foule,
Quelque malappris lui pinçait les fesses -
Elle est si débauchée, aujourd'hui, la jeunesse -
Elle préférait se laisser faire, sans rien dire,
Ainsi que vous et moi ...
Se contentant d'en rire.
Je dois même ajouter
Qu'elle y prenait quelque plaisir.

Elle était si douce et si simple ...
Elle avait le nombril en forme de cinq.
Une autre serait morte de façon tragique,
Aurait cherché quelque suicide dramatique
Afin de défrayer longuement la chronique ...
Elle ? Pas du tout !
Elle mourut dans son lit
Ainsi que vous et moi
Munie, faut-il qu'en fidèle historien, je le dise,
Munie des sacrements de l'Eglise ...

Ah, quel poète dira
Vos formes tant diverses, nombrils ?
Nombrils corrects, nombrils à la renverse
Nombrils en long des faméliques
Nombrils en large des grosses femmes apoplectiques
Nombrils en forme de porte cochère
Comme en ont fréquemment les accortes bouchères.
Nombrils moulés comme de petites crottes
Qui paraient l'abdomen des vierges hottentotes
Nombrils troublants des folles filles d'Espagne
Nombrils gras et béats des gros curés d'campagne.
Nombrils effarés des timides épouses.
Nombrils des gros rentiers, larges comme des bouses,
Nombrils rusés, nombrils malins,
Qui avez l'oeil américain
Nombrils mi-clos, nombrils entrebâillés
(Il faut pourtant qu'une porte soit ouverte ou fermée !...)
Nombrils en rond, nombrils en boule,
Nombrils gros comme des ampoules,
Et vous, nombrils en cul de poule ! ...

En avril, d'un babil subtil et puéril
Ah, ah, ah, ah, ah, ah, qui vous chantera,
Qui vous chantera, qui vous chantera, qui vous chantera,
Ah, ah, ah, ah, ah, ah, ah, ah, ah, ah ... Nombrils ?

Elle avait le nombril en forme de cinq.
Une autre aurait voulu qu'on la mit en terre
Avec le concours d'un d'ces messieurs du ministère
Qu'il y eut des discours, des musiques ...
Elle ? Pas du tout !
Ce fut simple et banl
Il n'y eut même pas un conseiller municipal
Mais deux ou trois parents, quelques amis, l'ecclésiastique,
Et quand le tabellion ouvrit son testament
Il lut ces quelques mots profondément troublants :
Que mon nombril, à la forme ironique,
Serve à numéroter la prochaine république ...

Elle était si douce et si simple ...

(Merci à Bertrand ROY pour cettes paroles)